Les caméras de télévision sont pour la première fois autorisées à filmer le rite d'initiation d'un postulant à la loge du Grand Orient de France. Le "récipiendaire" entre les yeux bandés dans le temple devant l'assemblée réunie en habit d'apparat. Il avance jusqu'à l'hôtel où siège le vénérable maître, vêtu d'un tablier, de gants blancs et d'un large ruban qui lit le serment d'appartenance à la loge. "Je m'engage à garder inviolablement le secret maçonnique." Devant lui sont exposés des symboles : l'équerre, le compas, le livre de la constitution et un crâne. L'apprenti promet de mettre en pratique "la grande loi de solidarité humaine qui est la doctrine de la franc maçonnerie" et de "pratiquer l'assistance envers les faibles, la justice envers tous, le dévouement envers sa famille et sa patrie, et envers l'humanité".
Gilbert ABERGEL, grand maître du Grand Orient de France parle de l'histoire de son obédience et nous fait visiter la loge maçonnique de Paris. Le Grand Orient de France incarne la tendance républicaine et laïque de la franc maçonnerie. Parmi les symboles exposés dans le temple, trône la marianne républicaine. On retrouve également le triangle équilatéral avec l'oeil de la connaissance, le compas et l'équerre pour évoquer la mesure et la rectitude et la chaîne d'union, métaphore utopique de la communion et la fraternité de tous les hommes.
Deux apprentis francs-maçons parlent de leur motivation à rejoindre la loge du Grand Orient de France. Ce qui a séduit Jean Paul LEGRAND, professeur d'université : "c'est l'idée de fraternité". Pour Kaddour SHAKER, médiateur judiciaire et militant antiraciste : "C'est la continuité de ma réflexion, de mon travail". Ils décrivent ensuite le parcours initiatique. Une boule blanche et une boule noire sont distribués aux participants qui doivent voter pour accepter ou refuser les candidats. Pour être intronisés, ces derniers doivent recevoir moins d'un quart de boules noires, sinon ils sont "blackboulés".
Deux franc-maçons de Mulhouse décrivent en quoi consiste les travaux de réflexion des ateliers de leur loge. Dans son bureau, Jean Pierre WALTER sort une pile de dossier : ce sont des travaux en cours qu'il mène pour alimenter les débats et les réflexions au sein de sa loge maçonnique. Il peut s'agir de sujets sociétaux ou philosophiques. Il peut être question du temps, de la tolérance ou de la place des femmes dans l'entreprise par exemple. Ces exposés écrits lui demandent plusieurs mois de travail. Les sujets de ces "planches" sont définis à l'intérieur de chaque atelier. Par contre les "questions aux loges" émanent des instances nationales du Grand Orient et sont étudiées partout en France. Jean SERE explique que la loge nationale du Grand Orient de France attend en retour le résultat des réflexions de chaque loge. Il cite comme exemple de questions à étudier : quelle doit être la place de la laïcité dans la citoyenneté européenne? Où s'arrêtent les acquis sociaux et où commencent les privilèges?
Le Grand Orient de France compte environ 250 bâtiments répartis sur le territoire. Le maître Edouard BOEGLIN présente quelques-uns des 80 membres que compte la loge de Mulhouse. Les 6 franc-maçons donne à voir un panel assez représentatif des adhérents de la loge : un journaliste, un ancien mineur, un médecin, un cheminot, un informaticien, un directeur de communication d'une grande entreprise. Cette diversité, selon Denis LAEDLIN, médecin, est l'un des attrait de la franc maçonnerie : "enfin trouver d'autres personnes que celles qu'on a l'habitude de fréquenter, avec lesquelles on a l'habitude parler, avec lesquelles on a l'habitude de penser". Les tendances politiques peuvent être diverses mais n'entrent pas en compte dans les discussions au sein de la loge. Edouard BOEGLIN explique ensuite qu'ils ne sont pas là pour faire de la politique partisane, leur objectif est de "tenter d'élaborer une société qui soit plus satisfaisante que celle qui existe à l'heure actuelle".
Exclues par les hommes depuis les origines, les femmes n'ont accédé à la franc maçonnerie qu'en créant leur propre loge mixte "le droit humain" en 1921. Il existe plusieurs loges mixtes laïques, mais la plus importante est La Grande Loge Féminine de France, qui est exclusivement féminine. Seules sont exclues les personnes se revendiquant d'un parti révolutionnaire ou d'extrême droite. Marie France COQUARD, grande maîtresse de la Grande Loge féminine de France, explique que les questions liées à la bioéthique, les problèmes d'empoi des femmes sont à l'ordre du jour des séances. Jacqueline NEBOUT précise que la franc maçonnerie regroupe "des gens de tous les métiers, de tous les sexes, de tous les âges, de toutes les classes sociales". Les discussions se font en toute liberté et avec sérénité. Yvette ROUDY condamne les affaires judiciaires qui impliquent des hommes francs maçons. Elle précise que l'affairisme, l'arrivisme et "l'appétit de pouvoir forcené" existent peu chez les francs maçonnes.
Betty SIMON, membre de la Grande loge féminine de France s'exprime devant la caméra. Elle explique ce que peut apporter la franc maçonnerie aux femmes dans leur vie personnelle et professionnelle : devenir une meilleure épouse, une meilleur mère et mieux agir dans la société. Les francs maçonnes sont impliquées dans le droit des femmes et les questions sociétales qui s'y rapportent, comme les actions du planning familal et le droit à l'avortement thérapeutique. Le but d'une société initiatique est de transmettre une influence spirituelle qui aide le requérant à se transformer, à s'épanouir. Ce n'est pas un secret mais "c'est une chose qu'il faut avoir vécu pour savoir qu'elle existe".
Daniel LIGOU, co-auteur d'une "histoire des francs-maçons en France" date les premières loges françaises à l'année 1725. Leurs créations correspondent aux préoccupations intellectuelles de l'époque et notamment l'attrait pour l'Angleterre. Le spécialiste démystifie le terme de secret qui entoure depuis tout temps la franc-maçonnerie, "la maçonnerie n'existe que lorsqu'elle est vécue". Il relate pour illustrer son propos quelques anecdotes historiques. Au 18ème siècle, les loges attiraient des personnes de tous milieux : des nobles, des militaires, des bourgeois, des commerçants et des écclesiastiques.
André COMBES, directeur de l'Institut d'études et de recherches maçonniques, résume très brièvement en plateau l'histoire de la franc maçonnerie de ses origines au Moyen Age avec les confréries des tailleurs de pierre et de maçons jusqu'au 20ème siècle. La franc-maçonnerie, dont le terme remonte au 14ème siècle, n'est apparue sous sa forme moderne qu'au 18ème siècle, dans la continuité de l'esprit des Lumières qu'incarne parfaitement Voltaire. De nombreuses personnalités comme Winston Churchill, Pierre Mendès France, Salvador Dali et Jules Ferry ont rejoint les loges maçonniques. L'anti-maçonnisme a d'abord été le fait de l'église catholique pour aujourd'hui être l'apanage de l'extrême droite.